LETTRES DE SOEUR GABRIELLE : Lettres du mois d’août 1916 à la Supérieure Générale

Lettres de Soeur Gabrielle

 

A Clermont, les bombardements se poursuivent. Les obus touchent maintenant le quartier neuf après avoir totalement détruit le vieux quartier. La chapelle est touchée et la statue de la Vierge tombe à terre. Soeur Gabrielle évoque dans la seconde lettre sa regrettée chapelle de Clermont-en-Argonne et tente de rendre un peu plus joyeuse la pauvre église de Froidos.

 

Lettre de la Sœur ROSNET à la Mère MAURICE,

Supérieure générale.

 

 

7 aout 1916.

 

Que ne pouvez-vous saisir, par une télégraphie sans fil, la reconnaissance qui jaillit de nos cœurs vers nos supérieurs qui nous ont envoyés dans cette Argonne

Oh nous avons la belle part, car le blessé que nous soignons ne pense qu’à sa famille, au bon Dieu qui la protège et a ce coin de France qu’il a arrosé de son sang. De plaisirs, il n’en est pas question ; une parole maternelle, une gâterie, des soins, c’est tout ce que nos chers petits réclament. Et comme de grand cœur nous leur donnons tout cela!

Après quelques jours de calme relatif, la grosse voix du canon se fait entendre de nouveau jour et nuit. Sur Fleury, sur Thiaumont, c’est un bruit d’enfer. Sur Clermont, les fusants visent notre saucisse tandis que les obus autrichiens achèvent de démolir ce qui est encore debout. Après le vieux quartier-hôpital, voici le quartier neuf atteint. La chapelle n’a encore rien. Sur la porte principale de l’hospice, nous avions une statue en pierre de la Vierge. Un obus crève le mur sur lequel elle repose, écarte les cloisons de la lingerie, fait effondrer le plafond et, en mettant tout par terre, fait rouler sur le trottoir la statue. Elle tombe de 5 mètres, sous une poussée formidable et au milieu d’un amas de pierres de taille morcelées. Et la statue n’a rien, l’Enfant-Jésus sourit encore sur son bras, sans une égratignure. Deux bons gendarmes l’ont descendue en sûreté à la cave d’ou elle sortira reine et maitresse du nouvel hôpital qui renaitra des ruines après la guerre.

Puisque vous le voulez, ma Mère, un mot de ma pauvre personne : elle va toujours sur deux jambes souvent très enflées. Depuis quinze jours, j’éprouve un peu de soulagement, car au lieu de rester debout à la salle d’opérations, ces messieurs m’ont demandé de donner le chloroforme, et je suis assise. Cette combinaison me permet de passer assise une nuit sur cinq en plus de mes journées, alors que j’avais bien du mal lorsqu’il fallait la passer debout. Que la Providence est bonne! II arrive des blesses si choqués, si saignés, qu’ils ont plus besoin du prêtre que du chirurgien. A la dernière nuit où nous étions de garde, j’ai fait administrer deux pauvres blessés qui sont morts deux heures après l’opération.

 

Source : Annales de la Congrégation de la Mission – Volume 82 – 1917

 

 

Lettre de la Sœur ROSNET à la Mère MAURICE,

Supérieure générale.

 

15 août 1916 soir

 

… Je viens continuer cette lettre interrompue hier à peine commencée. Ce matin pendant l’action de grâces, je revoyais la chapelle de notre chère Maison-Mère, éblouissante de lumières et de fleurs, de chants et de prières!… Quel contraste douloureux avec la pauvre église de Froidos, murs décrépits, vitraux brisés, voute en ruines et les deux bougies de notre pauvre autel, insuffisantes pour nous permettre de suivre l’office du jour. Des chants… point, sinon le gazouillis des hirondelles qui nichent dans les crevasses des murs et la grosse voix du canon qui tonne toujours.

Comme il n’est pas dans mon tempérament d’être morose, je me hâte de mettre un point lumineux dans ce coin sombre. Les bancs, un peu vides d’ordinaire, sont remplis aujourd’hui. Nos bons poilus aiment la sainte Vierge, nombreux sont ceux dont la mère, l’épouse, la sœur ou l’enfant porte le nom de Marie, et ils prient de toute leur âme, beaucoup font la sainte communion. J’aperçois des mouchoirs qui sortent un peu trop souvent des capotes et je me dis que les larmes versées par ces braves doivent briller comme autant de perles dans le bouquet de fête de la Reine du ciel. II me semble voir leurs anges les recueillir et mettre un baiser fraternel sur les yeux qui les versent. Et ces formes blanches projettent un rayon céleste sur ce fond sombre, et le bruit de leurs ailes ressemble à l’écho discret et lointain des chants si doux de la chère chapelle de la rue du Bac.

Puis je revois notre petite, mais si jolie chapelle de Clermont, debout encore, mais poussiéreuse et nue, attendant tous les jours l’obus qui la menace. Et le passé, le présent, dois-je ajouter l’avenir avec ses incertitudes descendent sur mon âme et me courbent… Fiat !

Nous n’avons pas oublié notre consécration, et si vous saviez, ma Mère, comme nous l’avons renouvelée de toute notre âme! Mais il fallait bien environner cet acte d’un peu de pompe. Rien de plus facile, même avec rien. Quand on est au front depuis deux ans, on n’est jamais a bout d’expédients.

Nous prenons donc la petite Vierge que nous avons apportée de Clermont ; bien, la voici qui sourit et nous tend les bras. L’une de nous vient de lui dresser un piédestal (une boite d’ananas). De chaque côté et derrière, des culots d’obus remplis de marguerites et de fleurs de camomille forment un parterre immaculé.

Reste la question luminaire… Pas de candélabres, pas de chandeliers, et alors? Rien de plus simple. Dans le fond d’une boite nous avons des petites bougies blanches, rouges, vertes ayant servi l’an dernier à l’arbre de Noel. On en sort cinq… et on les place dans une soucoupe. Au moment de les allumer, nous nous demandons : Pourquoi ce nombre cinq auquel personne n’a songé, et… très simplement encore, nous disons : « Notre Très Honorée Mère et ses quatre filles de Clermont ».

Nous voici donc, ma Très Honorée Mère, représentée par cette jolie petite bougie blanche que nous plaçons au milieu. Nous nous rangeons bien sagement autour de vous et nous flambons.

Les persiennes sont closes, le verrou est mis à la porte (il est deux heures de l’après-midi, car nous n’avons pu faire cet acte ce matin), nous achevons la consécration, lisons le point de la méditation et faisons l’oraison. Les cinq petites flammes scintillent et vont briller jusqu’à la fin… Mais voici que chauffée par nous quatre, la chère petite bougie blanche du milieu s’incline lentement ; sa flamme va se confondre avec celle d’une petite bougie verte. On la redresse…elle s’incline encore vers une autre et ainsi de suite jusqu’a la fin. Et nous avons dit : La prière de notre Mère aimée s’unit à la nôtre et elle vient de nous donner à toutes son baiser le plus maternel.

Nous sommes-nous trompées, ma Très Honorée Mère ? Je ne le crois pas…

Nous avons eu beaucoup de communions dans nos baraques et nos tentes, et la bonne Providence nous a envoyé de quoi giter nos héroïques défenseurs de Verdun.

  

Source : Annales de la Congrégation de la Mission – Volume 82 – 1917

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