LETTRES DE SOEUR GABRIELLE : Lettres des 26 et 27 avril 1916 à la Supérieure Générale

Lettres de Soeur Gabrielle

 

Deux lettres concernant la citation de Soeur Gabrielle à l’Ordre de l’Armée et la remise à celle-ci de la Croix de Guerre avec palmes le 27 avril 1916.

 

Lettre de la Sœur ROSNET à la Mère MAURICE,

Supérieure générale.

 

26 avril 1916.

 

… Nous vivons toujours au son du canon. Pendant deux jours de la semaine sainte, nous l’avons peu entendu sans doute parce qu’il pleuvait trop et que le terrain détrempé n’était pas favorable à l’éclatement des obus. A part ces quelques moments de répit, nous sautons continuellement.

II y a quatre jours, étant allée à notre pauvre hôpital prendre des paillasses et des matelas pour l’ambulance, faire enlever notre grand fourneau qui risque d’être mis en miettes par les obus et le faire transporter à Froidos pour la cuisine de nos chers blessés, nous avons reçu tout près (à 5o ou 6o mètres) douze gros obus qui, heureusement, n’ont blessé personne. Dans la nuit, une vingtaine de projectiles avaient tué cinq militaires. Le quartier-hôpital n’est pas encore touché jusqu’à ce jour. Il n’y a qu’un instant l’ennemi a encore dirigé son feu de ce côté. Nous reconnaissons parfaitement ici quand c’est Clermont qui reçoit. N’étant pas loin, le sol tremble et les vitres semblent vouloir quitter leurs châssis.

Je reviens de la salle d’opérations, car la besogne reprend ferme depuis trois jours, les Allemands se ruant encore sur les alentours de ce pauvre Verdun. Comme je roulais un pansement de tête, arrive le comte Boigey, médecin-chef de l’ambulance qui nous abrite. «Ma Sœur, me dit-il, je viens de recevoir du corps d’armée un message téléphonique m’annonçant votre citation à l’ordre de l’armée. La croix de guerre avec palmes vous sera remise demain soir par le général d’armée ». Qu’auriez-vous fait à ma place, ma Très Honorée Mère? Vous vous seriez inclinée en disant : « Merci, Monsieur le médecin chef. »  C’est ce que j’ai fait, avec la tête de mon blessé endormi dans les mains, et, tandis que le pauvre petit restituait copieusement le chloroforme aspiré, nos majors m’adressaient les félicitations d’usage et je continuais à rouler mon pansement.

 

Source : Annales de la Congrégation de la Mission – Volume 82 – 1917

 

Lettre de la Sœur ROSNET à la Mère MAURICE,

Supérieure générale.

 

27 avril 1916.

 

C’est fait, ma Très Honorée Mère, j’arrive de la cérémonie et je viens vous offrir ma croix de guerre, vous demandant la permission de la recevoir. Que n’étiez-vous là pour jouir de la déférence et de la sympathie respectueuse de notre armée! Car c’est à notre religion sainte et a notre chère Communauté que j’ai adressé tout ce qui s’est dit et fait ce soir. Ma pauvre personne qu’est-elle, combien de fois n’a-t-elle pas failli disparaitre depuis vingt-deux mois ? Mais la religion et notre Communauté subsisteront après moi, et je les représente ici.

Je vous dois quelques détails… Ne faut-il pas que vous viviez au front et que tout ce qui peut vous intéresser dans notre village en bois vous soit familier ; ce ne sera pas long, car vous n’ignorez pas, ma Mère, que tout ce qui est militaire va rondement.

A trois heures, un groupe d’infirmiers se masse dans le jardin du pavillon où nous logeons ; un quart d’heure après arrive une première auto. Celle du général N… avec trois officiers de son état-major de division. La suivant de près, voici celle du général U… avec des officiers de son état major de corps d’armée. Alors les chirurgiens de nos quatre ambulances, en grande tenue, se groupent et bientôt arrive le général H… avec plusieurs officiers de l’état major d’armée. Sous un soleil resplendissant, les galons, les sabres étincelaient tandis qu’un avion français évoluait là-haut dans le ciel lumineux et que le canon faisait rage.

On m’appelle. Je sors d’une salle avec mes deux compagnes (ayant été à la peine, il était juste qu’elles fussent à l’honneur); alors, trompant l’attente des infirmiers bien alignés, le petit doigt sur la couture du pantalon et les deux talons se touchant ; un officier me salue et me dit : « Ma Sœur, veuillez vous placer ici entre ces deux barrages, car votre place est au milieu de vos chers blesses. » Nos infirmiers arrivent au pas de course, tous les officiers se groupent et j’écoute les paroles émues que m’adresse le général d’armée.

Cela dit, il prend la croix et me l’épingle sur le collet, puis, très respectueusement, me fait le salut militaire et s’incline en me tendant la main. Les autres généraux et officiers l’imitent.

Et voila, ma Très Honorée Mère, votre pauvre fille avec la croix sur les épaules et sur la poitrine, an côté, dans la poche… La croix partout! II y en a de plus lourdes et avec la grâce de Dieu, le concours de mes excellentes compagnes et vos bonnes prières, ma Très Honorée Mère, j’essaye de les porter le moins mal possible.

Hier, la pensée de notre cher et vénéré disparu (le si regretté Père Duthoit) ne m’a pas quittée. S’il était à Salvanges, il serait surement venu et n’aurait pas manqué de me dire : « C’est de la terre tout cela, mais pour la Communauté je suis bien content. »

  

Source : Annales de la Congrégation de la Mission – Volume 82 – 1917

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