Situation en Argonne du 29 juillet au 25 septembre 1915
Situation en Argonne du 29 juillet au 25 septembre 1915
Source : Les Armes Françaises dans la Grande Guerre – Tome III Vol 1 Chapitre VII – P 321 à 329
Malgré l’arrêt des grandes attaques allemandes et l’ordre donné par le général de Castelnau à la IIIe armée de se mettre sur la défensive, le calme n’est pas revenu en Argonne. Les deux adversaires s’efforcent par de nombreux coups de mains d’améliorer leurs positions.
L’ennemi fait surtout effort dans la région de Saint-Hubert ( 2km500 au nord du Four de Paris) et de la cote 213 (1 kilomètre au nord de la Harazée) ; à partir du 29 juillet, ses attaques locales sont incessantes. L’une d’entre elles, d’une certaine importance, exécutée le 2 août sur le front de Fontaine-aux-Charmes à Marie-Thérèse et accompagnée d’explosions de mines et de jets de liquides enflammés, ne parvient à nous enlever que 200 mètres de tranchées mais nous coûte 800 hommes. Une autre, lancée le 11 août et qui se poursuit le 12, a des résultats plus sérieux ; après un violent bombardement, les Allemands donnent l’assaut à nos positions au nord-est de Vienne-le-Château dans, le secteur du ravin de Fontaine-Houyette tenu par la 15e division coloniale ; ils parviennent à gagner du terrain sur un front de 600 mètres et une profondeur de 200, et s’emparent d’observatoires qui leur assurent de bonnes vues dans nos lignes.
De plus, nos pertes dépassent un millier d’hommes, parmi lesquels d’assez nombreux prisonniers.
Ces attaques répétées donnent à notre haut commandement l’impression qu’il serait dangereux de trop affaiblir le front d’Argonne. Il décide en conséquence de suspendre jusqu’à nouvel ordre la relève de la 128e division ; quant à la 15e division coloniale, ses premiers éléments quittent l’Argonne le 17 août.
Après l’affaire du ravin de Fontaine-Houyette, la lutte se transporte peu à peu sur le plateau de Marie-Thérèse au nord-est de la Harazée, où le bombardement par obus et torpilles ainsi que la guerre de mines ne cessent pas un instant. Les pertes de la IIIe armée pendant le mois d’août s’élèvent à 4 164 tués, blessés et disparus, dont 84 officiers.
A partir du 5 septembre, notre commandement constate que l’artillerie ennemie a été renforcée par des canons lourds; elle montre une activité analogue à celle qui a précédé les attaques de juin.
Le 8 à partir de 7 heures, un bombardement d’une extrême intensité par pièces de tous calibres et par lance-bombes bouleverse les positions du 10e corps, tandis que le village de la Harazée et la vallée de la Biesme sont criblés d’obus asphyxiants. Vers 9 heures, les Allemands lancent une violente attaque d’infanterie de part et d’autre du ruisseau de la Fontaine-aux-Charmes; ils occupent trois lignes de tranchées et ne sont arrêtés qu’aux abords de la Harazée. Plusieurs contre-attaques exécutées dans l’après-midi ne parviennent à reprendre qu’une partie du terrain conquis par l’ennemi. En quelques heures, les Allemands ont enlevé nos positions sur un front de 1.800 mètres et une profondeur de 5oo à 600 mètres. Nos pertes s’élèvent à 72 officiers et environ 4.200 hommes. D’après le général de Castelnau, cet échec est dû aux causes suivantes : « Les travaux d’organisation défensive du secteur attaqué n’avaient pas été poussés avec l’activité voulue et les prescriptions relatives à l’échelonnement des unités en profondeur n’avaient pas été observées. Avant l’attaque, alors que celle-ci paraissait imminente, les mesures de précautions réglementaires n’ont pas été appliquées. Pendant l’attaque, l’action du commandement ne s’est pas exercée et aucune action d’ensemble n’a été montée pour rejeter l’ennemi du terrain sur lequel il s’était avancé. »
Cette affaire clôt la série des grandes offensives allemandes en Argonne ; il n’y a plus à signaler d’action importante sur cette partie du front jusqu’au moment où commencent nos offensives d’automne.
Tandis que l’ennemi la harcèle, la IIIe armée n’en monte pas moins l’attaque qu’elle doit exécuter sur la rive droite de l’Aisne, en liaison avec celle de la IIe armée sur la rive gauche.
Le 11 août, le général Humbert prescrit au commandant du 10e corps d’établir un plan d’attaque à exécuter avec une division entre l’Aisne et le bois de la Gruerie, en vue de couvrir l’action principale du groupe d’armées du centre sur la rive gauche de l’Aisne. Le front d’attaque s’étendrait du bois Beaurain exclu jusqu’au saillant ennemi à 800 mètres au sud-est de Servon.
Le 18 août, le général Wirbel, commandant le 10e corps, envisageant surtout la situation dans laquelle se trouveront ses troupes après la conquête de la position qu’il est chargé d’enlever, propose au général Humbert d’englober dans les attaques le bois Beaurain, « fortement organisé et qui forme un flanquement important de la ligne ennemie ». L’opération elle-même comprendrait une attaque principale (trois régiments) du bois Beaurain au bois en «dents de scie (cote 166) et une attaque secondaire (un régiment) sur le saillant au sud-est de Servon, cette dernière assez délicate en raison de la distance entre les lignes et de la nature du terrain.
Le général Humbert transmet en l’approuvant ce projet au commandant du groupe d’armées et donne au général Wirbel l’ordre de commencer les travaux. Mais le général de Castelnau prescrit d’établir un nouveau plan d’attaque.
L’action secondaire sur Servon sera abandonnée, parce que délicate et inutile; par contre, si la droite de l’action principale était limitée au bois Beaurain, elle risquerait d’être arrêtée, dès son débouché, par des feux de flanc partant du bois de la Grurie; il semble donc nécessaire de l’étendre vers l’est jusqu’à ce bois, c’est-à-dire jusqu’à la route de Binarville incluse. Le front d’attaque sera ainsi porté à 2 kilomètres ; mais le maintien de la 128e division à la IIIe armée permet de consacrer au moins deux divisions à l’offensive, à laquelle devra en outre participer la cavalerie.
Le général Humbert transmet ces nouvelles instructions au commandant du 10e corps, en ajoutant que les troupes destinées à l’opération seront vraisemblablement la 128e division et une force équivalente à une division, force à prélever sur les 5e et 10e corps,.
Le 27 août, le général Wirbel expose au commandant de l’armée que sa mission consiste à couvrir sur la rive droite de l’Aisne l’offensive principale en se portant, si possible, jusque vers la Noue-de-Beaumont et à enlever les batteries qui pourraient prendre à revers la droite de la IIe armée. Il considère comme secondaire la prescription d’étendre son attaque à la lisière du bois de la Gruerie: pour atteindre l’objectif qui lui est assigné, il lui suffira de mettre « par le mouvement ou par le feu » son aile droite à l’abri des réactions ennemies, et de « se couvrir du bois de la Gruerie, non en y allant, mais en le tenant sous notre feu à une certaine distance ». Il propose donc de limiter la droite de son attaque au saillant de notre ligne à l’ouest de la route de Binarville, cette route exclue.
Le commandant de la IIIe armée accepte cette manière de voir et précise en outre, le 29, au général Wirbel la forme à donner à l’action. L’objectif à atteindre sera au minimum la crête 172, à l’est de Servon. L’attaque sera menée par la 128e division et par une division provisoire comprenant une brigade de la 20e division (10e corps) et une brigade du 5e corps. La 128e division agira en première ligne; la division provisoire, en arrière, aura pour mission de manoeuvrer sur les ailes de celle-ci, de la renforcer ou d’exploiter son succès. Les troupes qui agiront entre le bois Beaurain et la lisière ouest du bois de la Gruerie constitueront des échelons refusés et ne se porteront en avant qu’au moment où les unités à leur gauche aborderont la lisière sud du bois Beaurain. Le général Humbert communique en même temps ces instructions au général de Castelnau ; il ajoute qu’il donnera le commandement des troupes d’attaque au général Wirbel et que les réserves d’armée seront constituées par la division provisoire, deux régiments de cavalerie et trois bataillons au moins de chacun des 5e et 10e corps.
Les deux régiments de cavalerie sont réunis le 3 septembre en une brigade provisoire.
Le général Wirbel a reçu le 3o août l’ordre de pousser la préparation de l’offensive avec la plus grande activité, en renonçant, s’il le faut, aux travaux qui ne seraient pas indispensables. L’attaque devra pouvoir débuter le 15 septembre.
Le 3, le commandant du 10e corps envoie son projet d’opération au général Humbert. L’objectif sera non plus seulement la conquête de la crête 172, mais encore l’enlèvement des batteries ennemies sur la croupe au nord de la Noue-de-Beaumont. La 12 8e division formera la gauche et le centre de l’attaque; la brigade du 5e corps, la droite. La brigade de la 20e division et la brigade de cavalerie seront en réserve de corps d’armée. Estimant qu’il serait plus avantageux d’agir avec deux divisions constituées, le commandant de la IIIe armée envisage le remplacement de la division provisoire par la 20e division en entier; mais le général Wirbel déclare ce remplacement inexécutable, et le général Humbert renonce à son projet.
D’autre part, il apporte quelques modifications au plan d’attaque qui lui est soumis. L’action, comme il l’a déjà indiqué le 29 août, doit être menée par divisions successives. En conséquence, les troupes d’assaut et de soutien seront fournies par la 128e division, un de ses régiments formant flanc-garde de droite en échelon refusé entre le bois Beaurain et le bois de la Gruerie. La division provisoire sera ainsi répartie : un régiment derrière la droite de la 128e division, appuyant le régiment de droite de celle-ci dans son rôle de flanc-garde; derrière la gauche un régiment, qui se rabattra vers l’ouest sur Servon, une fois la brèche franchie ; une brigade en réserve générale dans les environs de Saint-Thomas. Si l’assaut réussit, cette brigade sera portée vers la gauche de la 128e division, en direction générale de la Croix-Blanche et de Condé-les-Autry. C’est en effet par l’ouest que la manœuvre paraît le plus profitable, car c’est de ce côté que les défenses de l’ennemi semblent le moins importantes et que l’on peut donner la main à l’armée voisine.
Les réserves d’armée seront constituées par la brigade provisoire de cavalerie et par deux brigades provisoires prélevées, l’une sur le 5e corps, l’autre sur le 10e. Elles coopéreront à l’attaque ou seront employées sur tout autre point du front où les événements exigeraient leur intervention.
L’artillerie destinée à préparer et à appuyer l’attaque comprendra 28 batteries et demie de campagne, dont 3 batteries et demie de 90, et 23 batteries lourdes, dont 10 courtes et 13 longues.
Au 10e corps incombera plus particulièrement la mission de prolonger et de flanquer à droite l’attaque des forces qui agiront sur la rive gauche de l’Aisne. Il sera renforcé à cet effet par la 128e division, une brigade du 5e corps et, le cas échéant, la brigade provisoire de cavalerie. Le 5e corps et la 29e division exécuteront sur leur front des diversions par le feu, et prononceront, si les circonstances l’indiquent, des offensives locales. En dehors de la zone principale d’attaque, le 10e corps organisera des diversions de même nature.
Le 1oe corps placera en réserve d’armée un régiment à Rond-Champ et un régiment à la Croix-Gentin ; le 5e corps, un régiment vers les Islettes, un régiment dans la région de Clermont-en-Argonne. Ces régiments sont destinés soit à parer à une offensive ennemie sur le front de l’armée, soit à prendre part à l’action principale, soit enfin à exécuter sur le front de leur corps d’armée les attaques locales dont il vient d’être question.
La brigade provisoire de cavalerie participera à l’offensive du 10e corps; son emploi sera envisagé surtout dans la partie ouest du champ de bataille.
Le général de Castelnau approuve ces instructions ; il prescrit en même temps de faire concourir le plus tôt possible une brigade de la 128e division aux travaux en raison de leur peu d’avancement, et de disposer dès maintenant la brigade du 5e corps destinée aux attaques, de telle sorte qu’elle puisse éventuellement jouer le rôle de réserve d’armée en cas d’une nouvelle tentative de l’ennemi en Argonne.
De son côté le général Anthoine, qui a remplacé le 9 septembre le général Wirbel à la tête du 10e corps, donne les 17 et 18 septembre ses ordres pour l’offensive. L’attaque sera poussée «à fond, sans arrêt, sans arrière-pensée, avec la ferme volonté d’aller jusqu’au bout. On ne s’occupera pas de savoir si, sur l’autre rive de l’Aisne, nos forces avancent ou non. On partira d’un dispositif serré à bloc sur l’avant, et chaque fraction se mettra en mouvement automatiquement, simultanément, à l’heure prescrite. Les troupes d’assaut marcheront droit sur leurs objectifs, sans s’occuper de leur flanc ». Pour mieux assurer la protection de l’aile droite contre des attaques venant de l’Argonne et faciliter l’action du commandement en profondeur, le régiment de droite de la 128e division et le régiment de la division provisoire qui doit étayer cette aile sont placés sous les ordres d’un chef unique. Le commandant de la division provisoire est chargé de la même mission de protection à l’aile gauche du dispositif.
Mais, bien que l’offensive ait été remise au 25 septembre, le commandant du 10e corps s’est heurté à de grosses difficultés pour la préparation des attaques et l’aménagement du terrain. Il n’a disposé en effet que de faibles effectifs pour l’exécution des travaux et ceux-ci ont encore été ralentis par l’attaque allemande du 8 septembre. Le premier régiment de la 128e division n’est entré en secteur que dans la nuit du 13 au 1septembre et ta mise en place des derniers éléments de cette division n’est terminée que le 22. Le premier renforcement en artillerie a été effectué le 16 août, et l’arrivée des batteries s’est échelonnée jusqu’au 8 septembre. Leur installation n’est achevée que le 18. Aussi, dans une Instruction complémentaire qu’il adresse le 21 septembre au commandant de la 128e division, le général Anthoine signale que l’on n’a pu, faute de temps et de moyens, atteindre le degré de perfection désirable, et il énumère les points sur lesquels devront porter les efforts pour s’en rapprocher le plus possible. II ajoute que « la réussite de l’attaque est en germe dans l’installation de départ de l’infanterie et dans les tirs d’écrasement de l’artillerie. Mieux vaut éprouver des pertes en assurant ces deux conditions nécessaires et marcher avec des forces, peut-être un peu diminuées, à une attaque dont le succès est acquis d’avance que d’économiser ses moyens en vue d’une opération moins bien préparée, et alors vouée à l’échec». Enfin, le général Anthoine fait connaître que le 1oe corps ne fournira pas le régiment prévu en réserve d’armée à la Croix-Gentin et que le régiment placé au Rond-Champ sera en réserve de corps d’armée.
Pendant ce temps et conformément aux instructions reçues le 11 septembre du général Humbert, des ordres sont donnés par les généraux commandant les 10e et 5e corps et la 29e division pour exécuter sur le front défensif de la Ille armée des diversions par le feu et pour organiser des actions locales en vue d’exploiter un succès en Champagne ou sur la rive droite de l’Aisne. Le général Anthoine prescrit à la 19e division de préparer une attaque sur le plateau de Bagatelle et, à la 131e, une attaque sur le plateau de Saint-Hubert. Le général Hallouin, commandant le 5e corps, fait monter une opération sur Vauquois par la 10e division et une opération dans la région de la Fille-Morte par la 9e. A partir du 22, l’infanterie devra déployer une grande activité; l’artillerie ouvrira le feu pour le continuer avec une intensité croissante jusqu’au 25. La 29e division prépare une attaque par trois bataillons à l’est de Malancourt. Le général Humbert obtient du général Herr, commandant la région fortifiée de Verdun, le concours de son artillerie pour appuyer cette action éventuelle ; il rend compte au général de Castelnau que les offensives locales ne seront entreprises que dans le cas où l’on sentirait un fléchissement sérieux de l’ennemi. Enfin, à la veille de la bataille, il donne l’ordre aux corps d’armée d’assurer partout le 25 septembre l’inviolabilité du front en dehors du secteur d’attaque et d’engager des actions d’artillerie aussi violentes que le permettront les disponibilités en munitions.