SOEUR CHALLIER : Lettre du 4 ou 5 septembre 1914

Lettre de Soeur Challier 

 

Lettre de Sœur Challier, de Clermont-en-Argonne, Filles de la Charité de la même communauté que Soeur Gabrielle. Un éclairage complémentaire à celui donné par Soeur Gabrielle sur la journée du 3 septembre 1914.

 

Lettre probablement écrite le 4 ou 5 septembre 1914

Le 3 septembre au soir, nous évacuions en toute hâte quinze cent à deux mille blessés ; trois trains d’une longueur sans fin devaient les emmener, la bataille était terrible à ce moment-la. Nous commençons par vider ambulance et hôpital où on ne garde que les mourants; ma Sœur laisse deux sœurs anciennes auprès d’eux et nous emmène avec elle pour aider à la montée dans les trains; nous avions porté pour ceux qui pourraient manger, pain, vin, chocolat, confitures, gâteries, distribuant sans cesse à tous, bouillon, thon, tilleul, cherchant à soulager ceux qui souffraient le plus.

Vers une heure et demie de la nuit, un Commandant demanda à ma Sœur où il pourrait trouver de la paille pour les wagons ; elle le lui indiqua. Il revint un instant après, il n’avait rien trouvé. Ennuyé et pressé, il prie ma Sœur de lui donner quelqu’un pour le guider. Très occupée par le service des blessés et n’ayant que moi à ses côtés, ma Sœur me charge de guider ce pauvre commandant. Aussitôt je monte dans une charrette où il y avait déjà un officier et un soldat ; j’étais soucieuse de ma mission, savoir si a mon tour je trouverais cette paille si nécessaire pour rendre un peu moins dur le transport de nos chers et malheureux blessés. J’indique d’abord la maison d’un de nos voisins, je descends, et, de ma voix la plus suppliante, je lui dis que je venais de la part de ma sœur Gabrielle (nom sous lequel ma Sœur est connue et vénérée de tout le monde). « C’est pour nos blessés ; pensez que vous avez vos neuf fils sous les drapeaux. Comme vous seriez content de leur donner de la paille pour adoucir leurs souffrances sur ces brancards si durs! »  Il se leva et donna ce qu’il avait. Ce n’était pas suffisant ; pendant que ces messieurs chargeaient, je me retirai et fis le tour de Clermont ; je sonne ici, mais pas de réponse, tout le monde était parti. Je n’étais pas très brave, je marchais quand même, et après avoir sonné à dix ou douze portes, j’entends enfin une voix. C’était un bon vieillard que je réveillais en sursaut. Je lui demandai s’il connaissait des granges où il y avait de la paille, puis je le fis lever et l’attendis dans la rue. Ayant trouvé grandement mon affaire, je remerciai mon brave vieillard, m’excusant de l’avoir dérangé, puis retournai trouver l’officier et le soldat que j’avais abandonnés; ils vinrent aussitôt, très satisfaits, et je retournai vite a la gare, contente de revoir encore quelques derniers blessés. II était deux heures et demie du matin et le canon tonnait toujours.

 

Sœur CHALLIER.

 

Source : Annales de la Congrégation de la Mission – Volume 82 – 1917

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