LETTRES DE SOEUR GABRIELLE : Lettres des 8 et 9 février 1916 à la Supérieure Générale
Lettres de Soeur Gabrielle
Deux lettres de la Soeur Gabrielle à sa Supérieure dans laquelle elle relate la mort du Capitaine Charles BESNIER de l’Etat-major du 5ème C.A., observateur aérien, blessé mortellement le 6 février 1916 dans un combat aérien à proximité de Clermont-en-Argonne. Il décèdera à Dombasles-en-Argonne. Le Capitaine BESNIER avait stationné à Clermont-en-Argonne et connaissait très bien les soeurs, il était parent de l’une d’elle comme le précise Soeur Gabrielle dans sa première lettre.
Lettre de la Sœur ROSNET à la Mère MAURICE,
Supérieure générale.
Clermont-en-Argonne, 8 février 1916
Ce soir, tout impressionnée encore d’une mort tragique, je viens vous en causer, puisque le héros disparu est parent de l’une de nos chères sœurs.
Pendant quatorze mois, vous savez que nous avons eu sous notre toit tout l’état-major du….. corps d’armée. Parmi nos officiers se trouvait le capitaine B…, fervent chrétien, homme d’une bonté exquise, aimé de tous à cause de sa belle humeur et de son caractère excellent. Nous ne l’avons jamais vu commander un simple planton sans le sourire qui ne l’a jamais quitté. Attire par l’aviation, il s’est donné de toute son âme très française à ce nouveau genre de vie, ne pensant qu’une chose : rendre le plus de services possible à son pays.
Pour se perfectionner dans son rôle d’observateur, il est venu reprendre sa place chez nous pendant près d’un mois afin d’être à l’escadrille. Dimanche, une mission périlleuse lui a été confiée. Il part avec son pilote et deux avions d’escorte avec mitrailleuses pour le protéger. A une hauteur de 3 5oo mètres, il franchit les lignes ennemies, remplit sa mission et fait volteface pour revenir. Un de ses avions d’escorte s’aperçoit que son moteur fléchit et se hâte de gagner de l’espace et de revenir au plus tôt en terre française, abandonnant le capitaine B… avec un seul avion de défense.
Un peu avant de survoler de nouveau les lignes ennemies, qu’aperçoit-il ? Quatre avions allemands armés de mitrailleuses qui lui barrent le passage et l’encerclent. Son avion d’escorte à beau faire des prodiges, que pouvait-il seul contre quatre ? Une balle frappe le bon capitaine en pleine colonne vertébrale vers les reins. Il s’affaisse dans sa nacelle. A grand’ peine son pilote se dégage et parvient à ramener son appareil a 1oo mètres de nos lignes dans un terrain découvert que les adversaires se sont mis à arroser d’obus. Au milieu du fracas, des éclats et de la mitraille, on est parvenu à dégager le corps du pauvre capitaine. Mis sur un brancard, transporté au poste de secours, puis dans une auto-ambulance, on l’a transporté avec des souffrances inouïes à D…, village à 8 kilomètres de Clermont. Son désir était de venir ici, mais le voyage l’aurait achevé.
Source : Annales de la Congrégation de la Mission – Volume 82 – 1917
Lettre de la Sœur ROSNET à la Mère MAURICE,
Supérieure générale.
9 février 1916
L’état-major m’a avertie par un coup de téléphone et m’a donné une auto pour me rendre auprès de lui. Je pars avec notre médecin-chef, son ami. Au bonjour que je lui adresse il répond : « Ah! C’est vous, Sœur Gabrielle, que c’est bon d’être venue, mes yeux sont voilés, je ne vous distingue pas, mais je vois le blanc de votre cornette et j’ai reconnu votre voix. Je suis bien touché. » – « Vous êtes un croyant, capitaine, confiez-vous au divin Chirurgien pendant que les hommes de l’art vont vous examiner. » Le médecin-chef s’avance, soulève les couvertures, regarde, essaye de trouver un pouls, qui n’existe déjà plus, et va pour se retirer. « Eh bien! Docteur, mon état est grave, dites ? » – « Très grave, capitaine. » – « Imminent? » – « Je ne dis pas cela, comptant sur votre vigueur et votre jeunesse. » Un silence, le chef se retire et l’officier qui le gardait me laisse seule avec ce brave. Les minutes étaient précieuses, la vie partait avec le sang qui remplissait la cavité abdominale, les extrémités se refroidissaient et le pauvre patient murmurait : « Ma Sœur, je sens l’engourdissement qui m’envahit, vous avez entendu? Mon état est très grave! » – « C’est pourquoi, mon capitaine, j’en reviens à ce que je vous disais tout a l’heure, M. l’Aumônier est là, profitez-en, martyr du devoir, allez à celui que vous avez toujours aimé et servi, il vous encouragera, vous fortifiera et il est la vie. » – « Faites-le entrer. », Quelques minutes se passent, je reviens ; l’aumônier donne une parcelle d’hostie à ce vaillant, lui fait les dernières onctions, tandis qu’il me dit : « Priez tout haut pour que je vous suive, moi je ne peux plus. » – « Mon Dieu! Je crois en vous. J’espère en vous, je vous aime, je ne suis pas digne que vous veniez en moi, j’ai confiance, faites que je guérisse, mais si telle n’est pas votre volonté, acceptez ma vie pour la France que j’ai tant aimée. » Et les lèvres décolorées répètent après moi.
Puis les douleurs reprennent plus aigues et le pauvre patient se plaint fort. Entre deux plaintes… « Ma Sœur, prenez mon chapelet dans la poche droite de mon pantalon et passez-le à mon cou. » Comme cet état peut durer encore une-heure on deux, et que l’on a besoin de moi à l’hôpital, je lui dis : « Au revoir, à demain, mon capitaine, il faut que je rentre à Clermont ». « C’est vrai, le devoir vous y appelle et le devoir passe avant tout! ». Je le quitte à cinq heures ; à six heures et demie, cette belle âme était partie au ciel. Sa jeune veuve (vingt-huit ans), prévenue, est arrivée le lendemain ainsi que son respectable père et son frère, capitaine aussi. Le général m’envoie lundi soir un cycliste pour me prier d’aller coucher et arranger dans son cercueil son brave officier avant que l’auto sanitaire l’emmène où réside l’état-major. A cinq heures moins le quart, la voiture du général stoppait devant l’hôpital. J’y monte avec ma sœur Eudier. Arrivées à D…, nous donnons d’abord avec tout notre cœur du réconfort et beaucoup d’affection à la pauvre petite veuve, admirable de résignation chrétienne dans son immense douleur, puis nous faisons notre oraison auprès de ce lit funèbre. Le mort sourit dans son dernier sommeil ; à la lueur tremblante du cierge, on aperçoit sur sa vareuse sa croix du Maroc, sa croix de Guerre avec palmes et la croix de la Légion d’honneur.
La mise en bière est finie, nous laissons la tête découverte et, dans cette chambre de campagne, l’aumônier commence le saint sacrifice. L’autel, c’est sa cantine sur une commode. Le général et quelques officiers de sa division assistent recueillis à la cérémonie.
A la communion, l’aumônier se retourne et distribue le pain des forts aux membres de la famille et à l’ami intime du défunt, le capitaine G…, qui ne l’a pas quitté depuis dix-huit mois. Et pendant que le prêtre souhaitait la paix, le canon tonnait tout près de nous. Dieu ami de la paix et l’homme voulant la guerre, c’est bien cela!
Les obsèques ont été très religieuses et sur sa tombe, le général H… a prononcé un discours dans lequel il a fait surtout ressortir la bravoure, la loyauté et l’ardent patriotisme du défunt.
C’est une belle figure qui disparait de notre armée, et sa famille a le droit d’être fière du souvenir qu’il laisse comme catholique et comme Français. Pardon, ma Très Honorée Mère, d’avoir été si longue. J’aurais pu l’être plus encore si j’avais tout dit.
Ce n’est pas M. le Médecin-chef qui vous portera cette lettre. J’achevais hier soir la troisième page quand on est venu me chercher pour une opération. Il était neuf heures, on a eu fini a minuit quinze : vessie, reins, intestins perforés et tous les doigts de la main droite à enlever. Le pauvre enfant a survécu six heures à l’opération. M. l’Aumônier lui a donné les sacrements.
Quand je suis revenue à la communauté, à une heure douze, après tous les sérums et piqures qu’il a fallu lui faire, j’étais si lasse que je n’ai pas eu le courage d’achever mon récit.
A côté de la peine et de la fatigue, que de consolations et de vraies joies. Puissions-nous, Dieu aidant, accepter et supporter les premières aussi longtemps que durera la guerre, avec au cœur une vaillance toujours renouvelée dans la communion de chaque matin et savourer les secondes en nous disant : A Dieu seul toute la gloire, mais qu’il fait bon s’approcher des âmes.
Sœur ROSNET.
Source : Annales de la Congrégation de la Mission – Volume 82 – 1917
DOCUMENTS CONCERNANT LE CAPITAINE CHARLES MARIE BESNIER :