L’abbé DUTHOIT : biographie

L’abbé Louis DUTHOIT

 

Résumé de la conférence faite à Saint-Lazare, le siège de sa congrégation à Paris en 1916 juste après son décès.

 

M. Duthoit Louis naquit à Wambrechies, dans le diocèse de Cambrai, le 15 mars 1851.

II fit ses études au petit séminaire et au grand séminaire de Cambrai avec le Très Honore Père, qui a dit de lui qu’il était profondément pieux, d’une piété de bon aloi et déjà rempli du zèle des apôtres qu’échauffait la lecture de la vie de Théophane Vénard.

II se mit des lors à rêver la Chine et il entra à Saint-Lazare le 1er octobre 1872.

On a dit qu’il s’y était ennuyé et on a rappelé quelques incartades dont le P. Chinchon, grand directeur d’âmes, ne s’effraya pas, parce qu’il vit que si le jeune séminariste avait une nature portée a l’indépendance, moins faite pour la vie de chartreux à la maison (défauts que l’on n’a pas cachés a la conférence et que nous ne cacherons pas ici), cependant il rachetait ces négligences, qu’on lui reprochera toujours, par une grande charité et un dévouement a toute épreuve.

II fut placé au petit séminaire de Saint-Pons, en 1876. Un de ses anciens élèves, d’accord en cela avec son visiteur d’alors, a déclaré qu’il était excellent pour la discipline, dont il était préfet, et pour la direction des enfants, auxquels il faisait vraiment du bien. On a dit qu’il avait cette qualité, indispensable pour le bon ordre, de ne rien faire voir des divergences d’idées qu’il pouvait avoir vis-à-vis de telle mesure prise par l’autorité. II était professeur de rhétorique, de dessin, avait beaucoup d’attrait pour les choses extérieures, s’adonnait avec goût aux travaux matériels; il était bon confrère, et son visiteur faisait de lui cet éloge, qui n’est pas banal, qu’il savait réparer les manquements auxquels son tempérament l’entrainait parfois.

Au bout de six ans, en 1882, il fut envoyé comme assistant au petit  séminaire   d’Avon ; là encore nous constatons qu’il a la confiance des jeunes gens, puisque soixante sur cent seize s’adressent à lui.

En 1887, il est placé à Wernhout, où M. Dubois était alors supérieur. Ce n’était pas ce qu’il fallait a M. Duthoit qui rêvait toujours les grandes chevauchées par monts et par vaux, à la conquête des âmes égarées et qui se voyait relégué dans un pays perdu dans les landes et les bruyères de la Hollande, douce oasis cependant pour les âmes qui veulent s’adonner uniquement à la formation des apostoliques. Il sut ronger son frein, et son supérieur a fait de lui cet éloge que tout éducateur jugera incomparable: «Il a donné l’exemple de la  soumission et de l’obéissance en suivant à la lettre le programme qui lui a été remis par le préfet des études ». Constatons en passant, pour montrer les bizarreries des choses humaines, que ce directeur d’âmes jusqu’ici bien apprécié et qui le sera tant par la suite, n’a pas ou presque pas de pénitents. Vanitas vanitatum et omnia vanitas. Il est vrai de dire qu’il ne resta pas longtemps à l’école apostolique et qu’il n’eut pas ainsi le temps de se faire apprécier des élèves.

Jusqu’ici M. Duthoit était un peu comme le poisson hors de l’eau ; voici que la Providence va le mettre dans sa véritable voie, et toutes ses qualités vont se déployer en grand, étouffant ou dissimulant les défauts qui sont plus on moins l’apanage de tout enfant d’Adam.

Le Très Honoré Père Fiat, si pénétré de l’esprit de Saint Vincent, veut relever l’œuvre des missions ; il organise la maison de Loos sur un grand pied et il rassemble là des Missionnaires dont les noms sont célèbres dans les Annales de la Congrégation et qui rappellent les premiers compagnons de saint Vincent ; mentionnons au hasard les Duez, les Dehaene, les Garros, les Notteau, les Desmarescaux, pour ne citer que les morts. M. Duthoit leur est adjoint ; il s’élance dans la carrière comme un coursier fougueux et il parcourt les villes et les villages : tour à tour Armentières, Avesnes, Croix, Sous-le-Bois, Caudry, Seclin, Fourmies, Boulogne-sur-Mer, Lille, Wazemmes, Le Quesnoy, Roubaix, Saint-Omer, Somain, Montreuil, Rosendael, pour ne parler que des centres plus populeux, entendent sa voix, sont témoins de son abnégation, de son dévouement, de sa générosité, de sa délicatesse. Que de merveilles de la grâce dont il est l’instrument ! Les retours sont innombrables : à Armentières il y en a 3oo ; à Avesnes, 968 ; à Croix, 704 ; à Sous-le-Bois, 11o4 ; à Caudry, 1193 ; a Fourmies, 1350 ; à Hautmont, 1934 ; à Roubaix, 156o, etc. ; je ne parle pas des mariages revalidés ; un de ses collègues de Loos nous a dit qu’il avait grâce spéciale pour ce ministère ; il sait grouper les hommes ; le compte rendu de la mission de Wazemmes déclare que de mémoire d’homme on n’avait jamais vu ni pu obtenir une réunion d’hommes à l’église, encore moins une communion générale d’hommes ; le jour de la clôture de la mission, ils sont plus de deux mille à faire leur devoir sans peur. Cela suppose de longues séances, des nuits entières au confessionnal ; nous avons eu la curiosité de faire le relevé du nombre des confessions de chacune des missions où M. Duthoit a prêché ; c’est presque fantastique, et cependant c’est le compte rendu officiel envoyé tous les ans au Supérieur général ; donnons quelques chiffres pour l’édification du lecteur en rappelant cependant, pour la véracité du récit, que M. Duthoit n’est jamais seul, qu’il a toujours un compagnon et quelquefois deux et que les confessions dont il sera parlé s’échelonnent dans un espace de quinze jours habituellement ; à Armentières, 161o ; à Avesnes, 235o ; à Croix, 3753 ; à Sous-le-Bois, 2948 ; à Seclin, 2185 ; a Fourmies, 3 581 ; Boulogne (Capécure), 2056 ; à Lille (Saint-Michel), 2350 ; à Boulogne (Saint-Pierre), 3670 ; à Wazemmes, 63oo ; à Hautmont, 38oo ; à Roubaix (Saint-Joseph), 4 589 ; à Rosendael, 2325 ; à Roubaix (Saint-Rédempteur), 3987. II faut dire que M. Duthoit pratique quelquefois le compelle intrare. Un jour, il confessait une bonne personne qui se trouve mal pendant la confession ; notre confrère sort du confessionnal ; il avise un ouvrier qui passait devant l’église; il le prie de vouloir bien transporter la personne à son domicile, et quand le brave bomme revient rassurer M. Duthoit au sujet de la personne malade :

–          Si vous prenez sa place, lui dit-il.

–          Mais je ne veux pas me confesser, je viens seulement vous dire que la personne en question va bien.

–          Allons, pas tant de manières, mettez-vous la et vous verrez que ca sera vite fait et que vous serez content.

L’homme s’exécuta et il devint le plus fervent de la paroisse.

M. Duthoit n’a pas moins de succès auprès des femmes ; il établit partout l’association des mères chrétiennes ; les matelotes de Boulogne-sur-Mer, au milieu desquelles il a fondé cette œuvre si utile, ne le connaissent que sous le nom de saint Fondateur; il sait discerner les vocations des jeunes filles ; on a dit à la conférence qu’il avait peut-être quelquefois donné la vocation a quelques-unes; si c’est vrai, ce qui n’est pas facile a savoir, M. Duthoit a dû lire plus tard avec plaisir un petit livre qui a fait verser des flots d’encre sur cette épineuse question de la vocation.

M. Duthoit était donc heureux, très heureux ; tout à coup une circulaire du Très Honoré Père Fiat annonce à toute la Compagnie que l’on reprend la Mission de Madagascar, la Mission chère au cœur de saint Vincent et demande de nouveaux Nacquart, de nouveaux

Gondrée pour l’évangéliser. M. Duthoit répond aussitôt : Adsum, prisent! Nous avons La lettre par laquelle il fait part de ses dispositions an Supérieur général ; elle est vraiment belle ; nous ne pouvons malheureusement la citer en entier, ce serait trop long. Quelle délicatesse dans son âme : « Une chose le ferait hésiter c’est la bénédiction de Dieu répandue sur les missions qu’il prêche ; mais le Supérieur général demande, il se présente ; d’ailleurs toute sa vie il a en le désir de l’étranger; c’a été un des plus puissants mobiles de son entrée a Saint-Lazare ; un autre motif le pousse à faire ce sacrifice, il est touchant; c’est un motif de reconnaissance envers Dieu pour les grâces spirituelles qu’il a versées en abondance sur les six enfants de sa sœur ainée dont il s’est occupé jusqu’ici et qui sont tous dans d’excellentes dispositions. M. Duthoit déclare qu’il n’a parlé de cela qu’a son meilleur ami et unique confident, M. Villette, qui l’approuve, et il termine par cette phrase qui peint tout son cœur : « M. Duez (c’est son supérieur), M. Duez n’en sait rien ; il n’a pour moi que des bontés ; je préfère qu’il l’ignore, il en souffrirait. »

Les desseins de Dieu ne sont pas les desseins des hommes ; M. Duthoit a demandé Madagascar et voici qu’il est envoyé à Constantinople pour être directeur du collège Saint-Benoît, il retombe dans l’enseignement qu’il avait quitté depuis onze ans ; il se met a l’œuvre

avec ses grandes qualités et sa bonne volonté, mais les missions gardent toute sa prédilection; il se fait aimer des jeunes gens, et il leur fait du bien, mais son zèle ardent et généreux se sent à l’étroit dans les murs d’un collège et gémit d’avoir affaire à tant de Musulmans et de Grecs ; aussi le stage de Constantinople ne sera pas long et il revient, pour ne plus les quitter, à ses chères missions d’abord Valfleury, puis a Rongy et enfin à la Maison-Mère.

Mais la persécution religieuse redouble d’intensité ; il ne peut plus prêcher les grandes missions ; il est obligé la plupart du temps de donner des retraites aux enfants de Marie, etc., petites œuvrettes, disait le P. Fiat, qui ne doivent pas nous détourner de notre fin principale, qui est la mission proprement dite. Lui qui délibérément refusait ces œuvrettes à Loos pour ne pas nuire a l’œuvre des missions, il est oblige de s’en contenter; on fait ce qu’on peut.

Mais le bon Dieu, dont les desseins sont sagesse merveilleuse, va ouvrir une mission en grand et une mission non pas pour les filles et les femmes, mais pour les hommes et les jeunes gens qu’on avait peut-être négligés, dans tous les cas, qu’on n’atteignait presque plus. Soudain, en août 1914, le canon et le clairon appellent aux exercices de la grande mission ; M. Duthoit ne veut pas manquer une occasion unique et, malgré ses soixante-trois ans, il s’engage comme aumônier.

Qu’on relise les lettres qui ont été insérées dans les Annales depuis le début de la guerre et l’on verra quel apôtre c’était ! Il passe par toutes les horreurs de la guerre : bombardement, incendie, famine; il est arrêté comme otage, menacé d’être fusillé ; il assiste les blesses, visions d’horreur, mais ministère consolant ! Ministère fructueux ! Des soldats qui meurent comme des saints. « Jamais je ne vous remercierai assez de m’avoir envoyé ici, écrit-il le 19 octobre; c’est une vie nouvelle, mais plus belle encore que celle qu’un Missionnaire pourrait rêver ». Et plus loin : « En m’envoyant ici, vous me permettez d’ajouter la plus belle page a l’histoire des bonheurs de ma vie. »

Ce fut sa plus belle page, oui; mais pour qu’elle fit complètement belle, Dieu permit que les enluminures de l’épreuve vinssent l’encadrer. II tomba dans la disgrâce pour un fait insignifiant, pour une erreur inconsciente ; il commit le crime d’administrer un juif qu’il croyait être un chrétien catholique. Comme M. Duthoit le déclara lui-même dans sa lettre de justification, ce juif, mortellement blessé, avait la pleine lucidité de ses facultés; il ne protesta pas lorsque M. Duthoit le traita en chrétien, il l’encouragea au contraire par ces paroles: « Tout ce que vous voudrez, Monsieur l’Aumônier, on n’a jamais trop de prières pour mourir ». Du reste, M. Duthoit avait récité avec ce juif le Notre Père, et son blessé accompagnait les demandes du Pater de réflexions qui montraient qu’il comprenait. Ainsi quand M. Duthoit lui suggéra : que votre volonté soit faite, le soldat fit la prière, mais il ajouta : « C’est bien dur ! ». A la fin de l‘Ave Maria, quand on fut arrivé à ces mots : « maintenant et à l’beure de notre mort » le patient eut un mouvement : « Ohé, pas encore, Monsieur l’Aumônier, j’ai ma femme et trois enfants ! ». M. Duthoit le revit encore, et le juif voulut se servir de lui pour écrire à sa femme. Mais M. Duthoit lui avait donné l’extrême-onction.

Notre confrère fut donc, pour ce fait, frappé d’une peine disciplinaire, qui consistait à le priver de sa solde et à le faire permuter.

II fut alors chargé d’une ambulance fort peu éloignée de Clermont-en-Argonne. II écrivit à l’évêque de Verdun qu’il gagnait au change a tout point de vue, et que le bien se faisait dans son ambulance sur une plus large échelle.

Il continua donc son ministère à Salvange et plus tard à Froidos ; il allait souvent a Clermont-en-Argonne pour les sœurs ; en somme, sa petite disgrâce le dispensait de longues courses à cheval dont il n’était plus capable et lui permettait de faire un bien plus stable. Tout est bien qui finit bien.

Il ne perdit jamais sa gaieté et sa bonne humeur ; Il demandait un jour une bonne bénédiction au Très Honoré Père pour obtenir le don de guérir quelques saules pleureurs qui étaient près de lui et qui ne cessaient de faire des jérémiades, et il ajoutait malicieusement :

« Leur douleur est profonde et plaisante comme celle des vieilles filles et des servantes de curés qui ont perdu leur chat ! Leur chat qui avait toutes les qualités et auquel il ne manquait que la parole pour être une perfection, c’est entendu ». II dit qu’il se d6dommage de ces gens-là avec les poilus, « les habitués de la souffrance qui se contentent de peu en fait de bonheur. Une cigarette les fait rayonner, et quand on les rencontre a la relève, vrais paquets de boue qui se trainent, c’est un bonjour cordial, c’est une poignée de main sincère. Ils se souviennent et cela fait espérer, car, comme le dit Louis Veuillot, on est bien près d’aimer le bon Dieu quand on aime les amis du bon Dieu »

Une lettre de M. Duthoit au Très Honoré Père, du 21 décembre 1915, après avoir parlé de ses souffrances, se termine par ces mots : « Je savoure la parole de saint Paul : Superabundo gaudio in omni tribulatione nostra. Vous seul pourriez m’attrister si vous étiez Malade »

Le 29 janvier 1916, il annonce qu’il a failli quitter son ambulance ; on voulait le nommer aumônier divisionnaire ; c’était la réparation. Mais il a objecté son âge, soixante-cinq ans. « Il m’aurait fallu un cheval de mon âge et de mes goûts, mais on me donnait un cheval ardent, une jeunesse volage qui me fait peur. J’espère qu’on ne reviendra pas a la charge ; il y a dix ans, c’eut été le rêve, mais aujourd’hui ! ». II ajoute qu’il en a assez avec ses baraques qui peuvent contenir deux cents blesses, et qu’en fait d’avancement, il ne désire que l’avancement de nos troupes pour avoir des nouvelles du pays envahi et des sœurs de ces régions et puis retourner à Paris.

Le 12 février 1916, il est préoccupé ; on parle de déplacements possibles ; il sent le poids de ses soixante-cinq ans de plus en plus lourd : « A la grâce de Dieu ! II est fortement question d’une attaque des ennemis, dit-il ; les déserteurs allemands qui viennent se refugier dans nos lignes assurent qu’elle est prochaine ». II termine ainsi : « Surtout portez-vous bien, c’est l’essentiel. Pour moi, je vais bien, mais depuis quelque temps je crains de devenir sourd, j’éprouve des bruissements constants dans les oreilles. A la grâce de Dieu ! »

Le 4 mars 1916, en pleine bataille de Verdun, il écrit : « C’est, je crois, le moment de prier et de faire beaucoup prier pour notre pauvre et chère France. Que vous dire? Sunt lacrymae rerum ! A tout point de vue. Dieu seul sait ce que l’avenir nous réserve. Les promesses du curé d’Ars que m’a rapportées le frère Gaben dans le jardin de Saint-Lazare font la base de ma tranquillité et de ma confiance». Il annonce dans la même lettre que les Allemands bombardent beaucoup l’endroit où il est pour couper les voies de communication et de ravitaillement. II annonce qu’il a de l’occupation, qu’il a été un peu fatigué, mais qu’il va mieux, et il conclut : « On voit toujours trop souffrir pour oser se plaindre. »

 

La fiche "Mort pour la France" de l'Abbé DUTHOIT

La fiche "Mort pour la France" de l'Abbé DUTHOIT

 

Source : Annales de la Congrégation de la Mission – Volume 81 – 1916
Mémoire des Hommes

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