Dans la presse le 9 février 1915 : Un combat dans le bois de la Gruerie

Un combat dans le bois de la Gruerie

 

Depuis de longues semaines, nos soldats soutiennent, dans le Bois de la Gruerie, une lutte ardente, difficile, pleine de périls, incessante; un de nos amis a pu, il y a quelques jours, assister l’un des combats qui s’y déroulent fréquemment il nous en adresse le récit suivant.


…février.

Minuit Tout le monde dort, et la petite cité reposa dans un calme absolu. Seuls, quelques soldats sont encore debout, près de la gare, à l’ambulance où s’abritent les pauvres éclopés qui vont y passer la nuit en attendant d’être évacués. Sous une tente montée dans une grange, un feu ronronne dans un poêle. Tout autour, des soldats couverts de boue dorment sur des bancs. Au fond, une large banquette recouverte de paille sert de lit aux blessés les plus atteints. Dans la rue, c’est la tranquillité la plus grande. Sur la route de nombreuses voitures d’ambulance sont rangées sur les bas-côtés, devant les maisons et, quelquefois, le calme général est troublé soit par une automobile qui passe rapide, soit par le crépitement lointain de la fusillade ou par un coup de canon. Mais ces bruits sont si rares qu’ils semblent insolites. On croirait à peine que l’on est en guerre, dans le voisinage de la ligne de feu, par cette nuit noire. Le calme ne nous dit rien qui vaille. Dans cette région que l’enfer semble avoir choisi pour domicile, Je silence est toujours de mauvais augure. Il est l’annonce indéniable d’une action allemande prochaine, car l’Argonne sans canon, ce serait l’enfer sans diable.
Dans la chambre où nous veillons, près  du feu qui s’éteint dans la grande cheminée, nous  contemplons sans parler l’œuvre de nos ennemis. Les vestiges de leur passage dans le village sont nombreux, mais nous sommes certainement en présence de l’acte qui dépeint le mieux leur mentalité. L’objet qui retient ainsi nos regards est un coffre-fort, d’ailleurs dans un état lamentable. Sa porte de fer est totalement défoncée le métal est déchiré. Le secret disloqué pend sur le côté. Les inventeurs de la « Kultur » seraient-ils aussi devenus maîtres dans l’art du cambriolage ? Devant ce débris, mon camarade songe aux siens qu’il a dû laisser dans son village, son village où momentanément les Allemands sont les maître», et il se demande de quelle générosité peuvent bien être capables les sanguinaires-destructeurs de notre belle Lorraine, les émules des détrousseurs de grands chemins.

Mais un bruit sourd, qui nous arrache à notre rêverie, se fait entendre. C’est une troupe en marche qui s’approche lentement. Bientôt défile un régiment qui va prendre position dans les tranchées et en relever un autre. Les hommes, bien couverts, marchent avec insouciance vers cet inconnu qui se renouvelle pour eux tous les jours. Derrière vient la musique. Les soldats font halte dans la rue. Ils fument et causent. Lorsqu’ils partent pour la forêt, vers deux heures, afin d’arriver à la pointe du jour, nous leur disons simplement au revoir, car nous devons, un peu plus tard, partir pour la même direction.

Au petit jour nous filons par la vallée bordée d’arbres au milieu d’un paysage qui  rappelle les Vosges Nous, traversons X…. qui sert de limite aux obus allemands. Il y a quelques jours nos ennemis ne tiraient que sur la localité située en avant de X. Maintenant ils ont allongé leur tir. Il y a là une ambulance il fallait bien essayer de la bombarder, puisque c’est là guerre

 

L’attaque allemande

Enfin, voici la pleine forêt. La vision est fantastique. Les arbres apparaissent hachés toutes leurs branches sont plus ou moins cassées les troncs sont fendus, déchiquetés quelques-uns sont traversés de part en part par les éclats d’obus. La forêt semble décapitée par un orage formidable.
Sur le sol, de nombreux monticules se montrent, de-ci, de-là. La plupart sont surmontés de croix. Ce sont les tombes des soldats morts au champ d’honneur. Par endroits, on croirait un cimetière.

A huit heures, tout à coup, le canon gronde à notre gauche, dans le bois de la Gruerie. Au son qui parvient, on reconnait les minenwerfer ou lance-bombes. Bientôt, plusieurs de ces obusiers font entendre leur voix de bouledogue le bombardement dure pendant une heure. Les bombes se déplacent dans l’air à la manière d’une torpille volante. On les voit véritablement arriver, tellement leur vitesse est réduite. Ce sont nos tranchées qui sont visées. Quelques-unes sont touchées et plus ou moins détériorées. Les Allemands vont tenter une attaque. De notre côté, tout le monde est à son poste de combat. Si chacun cherche à éviter les éclats de bombe, tous sont sur leur garde, car les Boches ne vont pas tarder à surgir.

Brusquement, tes minenwerfer cessent de tirer. A ce moment, les Allemands bondissent hors de leurs retranchements et dévalent vers nos tranchées en trombe. Ils sont fusillés à bout portant et tombent les uns sur les autres, mais derrière eux apparaissent de nouvelles masses, qui finissent par envahir une partie de nos lignes.

Hurrah C’est la victoire ? Non ! Nos troupes se sont repliées elles soufflent un temps, puis le Commandement déclenche immédiatement une contre-attaque. Nos hommes, comme des furies, se jettent en avant sans tirer un coup de fusil, et tombent sur les Allemands au moment où ils cherchaient à consolider les positions qu’ils nous avaient enlevées. Les ennemis sont tués à coups de baïonnette, assommés à coups de crosse. Ils ont beau résister, ils ne peuvent tenir devant la furia de nos soldats, qui les rejettent dans leurs lignes. En deux endroits, cependant, ils se maintiennent. Ils ont amené des sacs de ciment et se sont solidement barricadés derrière ces sacs.

 

Délogés !

Il faut les déloger. Alors, notre artillerie entre en jeu. Nos batteries prennent position et les obus commencent à pleuvoir. Ils sifflent au-dessus de nos têtes, fracassant les branches, et vont éclater avec une précision fabuleuse au milieu des récalcitrants. Les coups se succèdent avec rapidité. C’est un bruit infernal qui se répercute en écho dans tous les sens. La forêt s’emplit bientôt de fumée.
On dirait qu’elle brille.

Enfin, l’artillerie cesse son feu et notre infanterie contre-attaque pour la deuxième fois. Cette fois-ci, les Allemands, ahuris et décimés par nos obus qui les ont fauchés littéralement, semblent incapables de lutter. Ils sont culbutés et délogés de nos tranchées. Nos hommes respirent. Les journaux pourront annoncer qu’une attaque allemande a été repoussée dans l’Argonne. Les Allemands ne se tiennent pas pour battus. Ils recommencent à attaquer. A la sape, depuis quelques jours, ils avaient creusé deux couloirs de mine jusqu’à une de nos tranchées. Tout a coup, les deux mines explosent avec fracas et pratiquent deux énormes brèches dans notre retranchement. Mais nos braves soldats veillaient. Brusquement ceux des tranchées voisines se précipitent et prennent possession des entonnoirs creusés par l’explosion des mines. Tous se mettent rapidement au travail et rétablissent le retranchement. Si bien que lorsque nos ennemis jettent en avant pour occuper la tranchée dont ils croyaient avoir massacré ou chassé les occupants, ils sont accueillis par une fusillade intense. D’abord hésitants, ils tentent d’avancer encore et se découvrent davantage. C’est leur perte. Un crépitement formidable fait résonner la forêt. Nos mitrailleuses entrent en jeu. Les Allemands, fous de terreur, fuient. Nous les voyons se faufiler derrière les arbres, dans la direction de leurs tranchées, laissant sur le sol de nombreux tués et blessés.

Pendant ce temps, nos troupes de réserve s’étaient avancées, prêtes à contre-attaquer en cas d’un succès allemand. Elles n’ont même pas eu à intervenir. Les Boches en étaient pour leurs frais. La soudaineté de notre intervention avait été telle que ni du côté de nos troupes de réserve, ni du côté allemand, personne n’avait eu le temps de rien entreprendre.

Pendant nos premières contre-attaques, nous avions pu faire quelques prisonniers qui n’en menaient pas large. Habillés de gris, sales, avec de grosses bottes, ils se présentaient tous coiffés de la petite calotte bande rouge. Devant notre étonnement de les voir privés de casques, ils nous expliquent que le casque n’existe plus dans les troupes allemandes, les pointes et les aigles impériales en cuivre ayant été arrachées et envoyés en Allemagne pour fabriquer des douilles d’obus.

Ces prisonniers nous paraissent sans exception très fatigués et ils avouent l’être en effet, par suite de la vie d’enfer que nos soldats leur font mener dans les bois de la Gruerie. La plupart semblent démoralisés. Ils se plaignent constamment de notre artillerie pendant que nous les interrogeons et  disent qu’ils redoutent particulièrement les blessures que causent nos obus.

Un officier allemand nous avoue même que le haut commandement commence à se rendre compte de la situation de plus en plus mauvaise de leurs troupes dans l’Argonne et de l’inutilité de leurs efforts.
Pour nous qui venons de voir lutter si crânement nos petits soldats contre l’envahisseur, ces aveux sont réconfortants. Le succès final n’est peut-être pas si éloigné que quelques-uns veulent bien le croire.

 

Source : Le Petit Parisien – 9 février 1915

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