POEME : Aux chênes de l’Argonne – A. BOUVIER
Aux chênes de l’Argonne
Robustes chênes séculaires
De l’Argonne aux talus à pic,
Vous avez bravé les colères
Et les menaces de Brunswick ;
Vous avez vu ses loups par bandes
Sortant des forêts allemandes,
Ouvrant leurs gueules toutes grandes
Et ravageant notre pays ;
Vous avez vu nos fiers ancêtres
Qui prétendaient vivre sans maîtres,
Refouler ces odieux êtres
Des territoires envahis.
Ces hideux loups à face humaine
Vous les voyez comme autrefois,
Plus que jamais brûlant de haine,
Se déchaîner parmi vos bois.
Monstres fous à qui la science,
La piété, la conscience,
Donnent bien plus de malfaisance
Qu’aux naturels et simples loups,
Puisque le nouveau fauve égorge
Pour égorger, de tout se gorge,
Et veut, au nom de Dieu qu’il forge,
Asservir le monde à se goûts !
Vieux chênes au grave murmure
Où les Gaulois croyaient ouïr
L’âme de la grande Nature
Travaillant à s’épanouir,
Que votre âme avec votre sève,
Avec la force de son rêve,
Avec l’élan qui vous soulève,
Toujours passe en nos défenseurs
Afin que l’esprit de leurs pères
Revive en leurs saintes colères
Et chasse de nos forêts chères
Les sauvages envahisseurs !
Quand le printemps et son mirage
Rendront l’espoir à notre cœur,
Laissez tomber votre feuillage
En vertes couronnes d’honneur
Sur les fosses de ces victimes,
Morts pour les tâches légitimes !
Aux vivants, par vos fermes trônes,
Enseignez les longues constances,
Des héroïques résistances
Qui sauveront nos espérances
Et mettront la gloire à nos fronts !
Janvier 1915
A. BOUILLY