Témoignage : Un artilleur relate les combats du 30 juin 1915

L’échec des attaques allemandes

du 30 juin 1915 

 

Du front de l’Argonne, 10 juillet

 Le train marchait lentement. On n’entendait que le roulement du long convoi et le heurt des roues à la jonction des rails et puis, non loin, dans les bois, par delà les crêtes qui rétrécissaient l’horizon, le canon…les 75 aux coups secs et brefs comme des cris de rage satisfaite, et les pièces lourdes aux mugissements profonds.

Du wagon, seul avec un artilleur, je regardais et j’écoutais…Mon compagnon étendit la main dans la direction du front :

«  Tenez, dit-il, c’est à quelques kilomètres d’ici que les Boches ont reçu la grande frottée dont les communiqués officiels ont parlé la semaine dernière…La bataille a fait rage pendant cinq jours autour du défilé de la Chalade, qui descend en droite ligne sur les Islettes et le chemin de fer de Sainte-Ménéhould à Verdun…S’emparer de cette ligne ou, du moins, la couper, rejoindre Saint-Mihiel qu’ils occupent, isoler Verdun et l’investir : c’est la grande pensée des Boches, l’objectif sur lequel ils s’acharnent vainement depuis des mois et des mois, et c’est ce qui explique la violence des combats qui se déroulent autour du Four-de-Paris (un nom joliment ironique et symbolique) et les retours incessants de l’ennemi pour percer notre front sur ce point.

Les Allemands n’étaient plus guère qu’à 200 mètres de nos batteries, dissimulés derrière les crêtes ou postées en travers du défilé. A leurs pièces nos artilleurs attendaient frémissants. Ils débouchèrent à zéro…Comme d’immenses coups de faux, les obus ouvrirent dans les masses ennemies des sillons sanglants. Les Boches essayèrent de foncer quand même. Le feu de notre artillerie redoubla de violence. Un officier, entraînant ses hommes, eut l’audace de faire mettre une pièce en batterie, à découvert, et face aux Allemands. Elle tirait presque à bout portant. Les Boches se ruèrent contre elle comme un troupeau de bœufs qui courent à l’abattoir. C’était fou et hideux. Les corps broyés, déchiquetés par la mitraille, assommés par le déplacement de d’air, sautaient, retombaient comme des débris informes et sanglants. Le 75 eut le dernier mot. Pas un des servants de cette pièce magnifique ne fut tué.

Cependant, notre infanterie s’était ressaisie. Les marsouins, qui se battirent comme des lions durant des journées et firent grandement honneur à leur vieille réputation, rivalisèrent de bravoure avec les Chasseurs à pied, et par une série de violentes contre-attaques, regagnèrent tout le terrain que l’emploi des obus asphyxiants par les Boches nous avait contraints de céder. Ils enlevèrent même 200 mètres de tranchées au-delà de nos anciennes première lignes. Les Boches que leur poussée furieuse avait conduits à moins de 8 kilomètres de notre voie ferrée entre Sainte-Ménéhould et les Islettes, abandonnèrent tout le bénéfice de leur avance avec des monceaux de cadavres sur le terrain, plus de 8000 assure-t-on. Deux Divisions furent anéanties. »

 

L’artilleur avait terminé son récit. L’aube commençait à blanchir légèrement la campagne, tout enveloppée par le bruit du canon. Dans une clairière, près de la voie, trois sangliers qui avaient fui la forêt dévastée et bruyante semblaient vouloir faire la tête…Mais comme ces solitaires nous paraissent inoffensifs et presque sympathiques comparés aux brutes déchaînées par la Kultur.

(La Liberté)

Robert VIGNEAU

 

Source : AD Meuse – Le Bulletin Meusien du 29 juillet 1915

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