Lettres du Lieutenant Pierre Monnier – 46ème R.I. (1ère Partie)

Lettres du Lieutenant Pierre Monnier,

46ème Régiment d’Infanterie,

tué le 8 janvier 1915 (1ère partie)

 

Lettres publiées dans la revue Le Souvenir de novembre 1916

Le Lieutenant Pierre Monnier du 46ème Régiment d'Infanterie, tué au combat le 8 janvier 1915 au ravin des Meurissons à l'âge de 23 ans

Le Lieutenant Pierre Monnier du 46ème Régiment d’Infanterie, tué au combat le 8 janvier 1915 au ravin des Meurissons à l’âge de 23 ans

Un sous-lieutenant de 1914 ! Quelle figure déjà lointaine! C’était un jeune homme qui s’en allait au combat avec des galons dorés, des gants blancs, une culotte rouge, en brandissant un sabre étincelant. Comme cela est loin! Comme cela est loin de notre guerre d’usine tout assombrie de fumée et de bruits de forge. Aussi, quand nous pensons à ces camarades du début, ces beaux adolescents mystiques, amoureux de la gloire, à qui la mort fit signe tout de suite, leur image éclaire nos âmes ; il nous semble qu’en les approchant autrefois, nous avons frôlé une rare perfection. Cette impression, je la ressentis vivement l’autre jour, en écoutant les officiers d’un régiment voisin, parlant d’un jeune lieutenant tué au ravin des Meurissons, le 8 janvier 1915. Sans mot dire, en rêvant, puisque je suivais leur conversation, je voyais au-dessus de leurs paroles, planer une de ces belles figures d’officier du début de la guerre.

— Te souviens-tu, disait l’un d’eux, de ce jour ou le lieutenant Monnier entendit une voix s’élever de la tranchée ennemie pour lancer ce défi, en langue française : « S’il y a un officier français en face, qu’il se montre au-dessus du parapet! Je le défie au revolver! »
Ce fut magnifique ! Monnier, instantanément, se dressa sur le parapet ; l’Allemand en fit autant et les deux officiers, à quarante pas, déchargèrent leurs revolvers en se visant, tandis que leurs soldats applaudissaient.

— La meilleure histoire que je connaisse sur Monnier, disait un autre conteur, c’est bien celle-ci. L’adjudant P. avait été désigné pour une mission des plus dangereuses, mais l’ordre ne lui en parvint jamais ; Monnier intercepta cet ordre et partit accomplir la mission prétendant que l’adjudant avait combattu la veille et que ce n’était pas son tour de marcher.

En entendant ces choses, le désir me vint de connaître plus intimement cette belle âme de soldat. Peu après, quelques renseignements me parvinrent et j’appris qu’au moment de la mobilisation, Pierre Monnier, arrière petit-fils du maréchal Molitor et arrière petit-neveu du maréchal Ney, terminait sa seconde année de service militaire. Sur sa demande, il partit pour le front le 6 août, comme sous-lieutenant. Il prit part à divers engagements en Belgique, à Stenay. A Fossé, dans la Meuse, une balle lui traversa l’épaule; malgré sa blessure, il demeura à la tête de ses hommes jusqu’à la fin du combat, ne consentant à être évacué qu’après la prise des tranchées allemandes. A peine guéri, nous le retrouvons en Argonne où il est nommé lieutenant. Le 6 janvier 1916, il était cité à l’Ordre du jour.

Le 8 janvier 1915, en se lançant au-devant d’ennemis qui avaient forcé la première ligne de tranchées, il fut atteint d’une balle au cœur au moment où il criait : « A la baïonnette, mes amis! » Il repose maintenant dans le petit cimetière du Claon, en Argonne.

Le soldat Collignon, Conseiller d’Etat, le La Tour-d’Auvergne du régiment, écrivait aux parents, peu avant qu’il ne tombât lui- même : «C’était le chef qui ne disait jamais à ses hommes : Allez-y! mais : Allons-y!»

Toutes ces lettres qui parlent de lui sont remplies d’une profonde admiration et d’une véritable vénération pour ce jeune « chevalier sans peur et sans reproche », surnom qu’on lui donnait à son régiment. N’est-ce pas tout dire ?

Aujourd’hui, grâce à mon insistance auprès de la famille, pensant bien qu’une telle âme ne pouvait avoir laissé que des paroles auxquelles bien des hommes pourraient venir puiser la sérénité héroïque, il m’est donné de pouvoir publier quelques extraits des lettres qu’il écrivit peu avant sa mort glorieuse. On retrouvera dans cette correspondance toutes ces admirables qualités de simplicité, de foi, de vaillance, d’abnégation et de patriotisme qui font l’inaltérable grandeur de la France.

Jean des Vignes Rouges

1er août 1914

Cher Papa et chère Maman,

« Comptez sur moi pour faire honneur dans ma faible mesure au vieux sang militaire qui coule dans mes veines :

« Je vous embrasse de tout cœur, et vive la France »

3 Août.

« Les cœurs de tous ici battent à l’unisson et je vous assure que je suis vraiment fier de mes hommes ! Je penserai au Grand-Père Molitor qui fut jadis à la tête de mon régiment. ».

 

4 août.

« Tout continue à aller le mieux du monde, le moral et le reste, mais je voudrais déjà être parti pour la frontière. »

14 août.

«…Nous attendons pour demain une vigoureuse marche en avant que les Allemands semblent craindre puisqu’ils font sauter les ponts de tous côtés. »

 

29 août 1914

Ma bien chère Maman,

« Il m’a été à peu près impossible de t’écrire depuis longtemps. Le 20 au soir, j’ai pris les avant-postes dans une ferme, avec ma section. Rien d’anormal ne s’est passé. Le 21, le bataillon a été flanc-garde de la division. Nous avons attaqué un château appartenant à un commandant d’artillerie de Fontainebleau ; les hussards qui l’occupaient ont détalé et nous avons mangé le déjeuner de leurs officiers. Nous sommes repartis à trois heures et sommes arrivés à onze heures dans un champ où nous avons couché sous la canonnade et la fusillade ininterrompues, pendant qu’à 5 kilomètres de nous la ville de Longwy qu’on bombardait, flambait toute entière comme une torche.
Le lendemain matin a commencé la bataille : malheureusement la bravoure de nos troupes s’est épuisée successivement contre les formidables retranchements allemands.

Pourtant deux de nos compagnies ont pu traverser toutes leurs lignes, mais ont dû se replier. A midi, les Allemands ont pu installer à la lisière des bois qui dominaient à 500 mètres le village que nous occupions, et nous ont forcés à l’évacuer. Nous sommes restés dans la vallée jusqu’à cinq heures du soir. Pendant ce temps, nos troupes se repliaient, poursuivies par le feu de l’artillerie lourde. Nous ne sommes partis qu’à cinq heures, dans un ordre parfait, et nous avons traversé tout le champ de bataille, absolument vide. Nous avons passé par diverses péripéties et avons fini par échouer à onze heures dans une ferme où j’ai pu dormir sur un banc de 0 m. 10 (dix centimètres) de large, mais près d’un feu ! Le pauvre T., a été tué d’une balle dans la tête ce jour-là et nous avons perdu un lieutenant et un médecin.

Le 23 nous avons traversé X., et nous avons été occuper de très fortes positions à une dizaine de kilomètres en arrière.

Nous avons passé la nuit dans les tranchées, et le 24 la bataille a recommencé au petit jour. Ma tranchée a été bombardée avec une précision admirable depuis six heures ; deux sections de la IIème compagnie qui étaient à ma droite étant parties, j’ai dû me replier à 8 heures 1/2, sans autres pertes que quelques blessés. J’ai appris à ce moment que le Capitaine avait été blessé d’une balle dans la cuisse, dès le début, et j’ai pris le commandement de la compagnie. Après cela, nous nous sommes de nouveau épuisés en efforts successifs.

J’avais récolté des hommes un peu partout, et de tous les régiments, et nous sommes remontés par trois fois jusqu’à la crête. Ça a été dur ! Mais si nous avions pu, à ce moment là
être renforcés, nous aurions balayé les lignes ennemies qui n’osaient pas sortir des bois. Le tir de l’artillerie allemande a été admirablement réglé, mais leurs obus sont très peu efficaces, et ne produisent guère qu’un effet de démoralisation extrême. Par contre, leurs mitrailleuses sont terribles. Nous avons subi un bombardement terrible qui a causé peu de pertes.

Ma ligne s’est retirée la dernière, et j’ai pu regrouper quelques éléments, et battre en retraite à 5 kilomètres en arrière où j’ai retrouvé vers 3 heures ce qui restait du régiment. A ce moment le… Corps a repris l’attaque, mais a subi le même sort que nous. La preuve des pertes des allemands est qu’ils n’ont pas osé nous poursuivre. Nous avons été très éprouvés ce jour-là comme officiers, et nous ne sommes plus restés que 5 au bataillon. Le soir nous avons couché dans un village abandonné.

Le 25 s’est passé en marches, contremarches et escarmouches. Le soir, nous sommes arrivés dans une petite ville où nous n’avons plus guère trouvé que des vins de toute sorte, et j’avoue à ma honte que je me suis presque pochardé !

Le 26, nous avons continué le mouvement de retraite. Nous avons été en bon ordre jusque sur la Meuse, où mon bataillon a servi de tête de pont pendant toute la retraite.
Nous sommes partis à 8 heures en faisant sauter les ponts derrière nous. Nous avons marché toute la nuit jusqu’à 5 heures sous une pluie battante, et je n’avais pas eu le temps de manger. Nous nous sommes couchés à 5 heures ; j’ai pu me sécher.

Le 27, nous nous sommes postés très en arrière, à la la limite de l’Argonne, laissant à d’autres troupes moins épuisées la garde de la Meuse. Elles s’en sont bien tirées puisqu’elles ont rejeté 8.000 ennemis à l’eau près de Stenay.

Ecrit à Paris pendant qu’il y était soigné.

« Nous partons le 3o août à 4 heures. Ma section est pointe d’avant-garde, mission assez difficile à remplir sans carte. »

…Pendant que nos 75 arrosent d’obus et de shrapnells les positions ennemies, nous partons sous un feu d’enfer. Je dois déployer ma section sur un terrain très exposé ; puis je me trouve derrière une très grosse haie qui me barre complètement le passage, et qui doit servir de point de repère à l’ennemi, car elle reçoit une pluie de balles. J’arrive à la faire passer, non sans peine, et en laissant plusieurs hommes derrière. De l’autre côté, j’arrive à une petite crête, à environ 500 mètres de l’ennemi, où je m’arrête un moment et fais ouvrir le feu. Mais l’ennemi est presque invisible. C’est là que les Boches jugent à propos de m’envoyer une balle. J’ai d’abord cru que c’était une pierre et n’ai pas souffert du tout.

Nos lignes avancent toujours. Les Allemands sonnent la charge de leurs tranchées, de sorte que la moitié des nôtres se lève. Voyant cela, le Colonel dit : « Allons-y » et tout le monde part, avec le Drapeau.

Les ennemis tiennent très fort, et fusillent nos hommes à bout portant ; de part et d’autre les pertes sont considérables. Mais nous arrivons à traverser leurs lignes. J’ai pu me faire panser dans une ferme par mon cycliste, et je regagne « pedibus cum jambis » le village en traversant le champ de bataille ; j’ai vu beaucoup de corps et on ramène des quantités de blessés, heureusement presque tous atteints aux membres. Il est nuit noire quand j’arrive à F. Je m’installe dans la rue, sur une botte de paille et dors pendant une heure, jusqu’au moment où des brancardiers me réveillent. Je vais à l’ambulance où des copains me donnent à manger, ce qui n’était pas de trop, et où l’on me conseille de partir, le village pouvant être bombardé au petit jour. Il parait que nous avons dû revenir sur nos positions, mais nous n’étions que trois régiments, et des prisonniers que j’interroge me disent qu’ils étaient trois divisions ! Est-ce exact ?

A 10 heures 1/2 je me hisse sur mon cheval, et tiré par mon ordonnance je pars pour gagner un centre d’évacuation. Des artilleurs me font tromper de chemin, et je me trouve soudain sur la Meuse. J’aurais dû être pris par les avant-postes allemands, mais m’en suis tiré heureusement. Nous traversons quelques villages absolument abandonnés et finissons par arriver à 4 h. 1/2 à Saint-Juvin, où j’avais mangé le 29 de la si bonne confiture.

Retapé et restauré, je pars à pied à 8 heures pour Fléville où j’arrive à neuf heures. Il y aura un train vers une heure.

Nous partons enfin. Je suis dixième dans un compartiment de troisième, et je ne veux rien dire du voyage qui a duré vingt-deux heures. Mais nous avons la satisfaction d’apprendre qu’on a rejeté nos adversaires dans le fleuve. A Juvisy, j’arrive à me faire évacuer sur Paris, où grâce à deux aimables dames, j’arrive dans un confortable taxi.

Après sa blessure du 30 août

« J’ai été bien heureux de passer ces quelques jours at home. Ils m’ont rempli d’un nouveau courage pour retourner au front. »

« Malheureusement on ne parle pas encore de départ : c’est exaspérant ! Malgré tout, je me rends compte que je suis utile ici, ce qui me fait prendre mon mal en patience. Mais pendant ce temps, les camarades ont eu la veine de rester là-bas ! »

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